A notre premiere rencontre, accompagné de Alice, l’animatrice qui m’a judicieusement dirigé vers elle, Jeannine est assise concentrée à son ouvrage, un appareil de Tricotin entre les mains. Elle recherche une technique qui semble lui échapper. Elle pose son ouvrage, nous accueille, émet quelques réserves arguant qu’elle ne souhaite pas être mise en avant. Puis, comme un accord de sa part pour rentrer dans son espace, Jeanine me fait enlever aiguilles et laine d’un fauteuil pour que je prenne place auprès d’elle. Nous voici partis pour la rencontre.
Jeannine est depuis peu aux Lilas. Un accident domestique lui a fracturé la hanche. Sans ambiguïté elle regrette sa maison. Jeannine est une résiliente. C’est difficile mais elle fait face avec philosophie. Elle accepte plutôt que se morfondre.
Nous égrenons les étapes de sa vie. Aux premiers mots je perçois la compagnie d’une grande âme, une belle personne sensible au monde qui l’entoure avec une acuité développée pour notre époque, qu’elle commente de façon ouverte. Elle ne juge pas.
Le constat de sa vie passée est sans ambages. Une vie familiale positive, stable, riche de quatre enfants et un goût prononcé pour le collectif, en témoigne sa présence enfant au JOC (Jeunesse ouvrière catholique).
Jeanine a la foi dans la vie. Selon elle, c’est ce qui manque dans ce monde qui semble danser sur la tête.
Une pratique remplit son existence, et ce depuis l’âge de 5 ans, le tricot. Elle a même frisé le professionnalisme en travaillant à faire naitre de ses mains, ou à l’aide d’une tricoteuse, des vêtements vendus par de grandes marques de laine. Le tricot a aussi pour Jeanine une approche collective : Se retrouver à plusieurs pour tricoter. Dans sa maison, tous les mercredis après-midi, la porte était ouverte pour venir tricoter, boire café ou thé et bavarder ensemble, comme un couarail d’antan.
Jeannine aime que l’on se rassemble autour d’elle. Par sa nature généreuse, elle crée l’espace pour que l’on recherche sa compagnie. Au fond, Jeannine est plutôt réservée et ne voudrait pas déranger.
Nous en venons à l’évènement que l’on pourrait inventer ensemble. Le tricot tombe sous le sens, avec en toile de fond une mise en valeur du collectif. Nous écartons le tricot urbain et décoratif (Le Yarn Bombing qui signifie Bombardement de fil). Jeannine est sans appel sur le sujet : Le tricot c’est un beau vêtement et qui tient chaud ! Nous abordons l’idée d’un évènement tricot aux Lilas, en lien avec un club jarnysien, « Tricothé ». Jeannine les connait bien, elle en fait bien sûr partie. Sans aucun doute, elle est un phare dans le domaine.
Suite à cela, j’établis le contact avec Tricothé pour les rencontrer prochainement, et faire tourner la parole avec les Lilas et définir ainsi les contours d’un évènement adapté et créatif, sous le regard complice et l’approbation de Jeannine bien sûr !
Par ailleurs, nous échangeons avec Jeannine sur la transmission de ce savoir-faire, le tricot. Elle y est sensible et favorable. Le lycée voisin Jean Zay a, en son sein, une section « Arts appliqués » qui concerne également le vêtement. Alice, l’animatrice, ayant elle-même suivi ce cursus, se propose de prendre contact avec le professeur référent. Pourquoi pas une rencontre intergénérationnelle et pédagogique autour du tricot.
Avançons et voyons ensemble les retours.
La métaphore du tissage de « Hors d’âge » est ici bien à l’œuvre avec ces brins de laine qui cherchent leurs aiguilles ! Bonjour tricoteuses et tricoteurs !
Lundi 3 mars 2025, 14 heures, c’est le jour de la première rencontre autour du tricot. Une aventure qui m’a mené de Jeannine des Lilas vers Anne-Marie de l’association Tricothé, avec également un projet de rencontre à venir avec des élèves du lycée voisin, Jean Zay. Aujourd’hui 3 mars, nous allons vivre un premier moment de partage dans l’accueillant patio des Lilas.
Aude, l’animatrice, et les stagiaires qui l’assistent sont sur le pont. Elle assure la présence d’une bonne dizaine d’habitants des Lilas. 14 heures, à l’entrée des Lilas, se présente également une dizaine de tricoteuses de « Tricothé ». Point d’homme de part et d’autre, un effectif exclusivement féminin. Une vingtaine de participantes pour une rencontre au fil de la laine. La rencontre se passe dans le patio des Lilas, baigné à ce jour par une lumière limpide et lumineuse.
Les chaises se tirent et s’ajustent, les fauteuils roulants se calent, les regards se croisent et quelques paroles s’échangent entre voisins. Nous voici comme à un face à face de deux tribus formant, sur le plancher du patio, deux hémicycles pour dessiner, ensemble, un cercle de rencontre. L’ambiance est timide et détendue.
Il faut lancer les hostilités. Je prends la parole pour donner les quelques points d’histoire de cette rencontre « Hors d’âge » et remercier les lilas comme coorganisateur de cette rencontre, sans oublier d’évoquer l’engagement de Tricothé. J’évoque Jeannine qui est le point de départ de cette aventure. Toutes les tricoteuses de Tricothé sont passées la saluer chaleureusement à leur arrivée. A la fin de mon intervention, je donne la parole à Anne Marie, notre « Hors d’âge », pour une petite conférence sur le tricot dans l ‘histoire et d’un point de vue sociologique.
Anne-Marie s’avance dans le cercle et s’adresse à tous et chacun pour un exposé vivant qui sait capter l’attention du public. Nous voyageons dans les siècles et les pays en passant par les célèbres tricoteuses de la révolution française, pour arriver au réveil des souvenirs de la pratique du tricot dans l’entourage de chacun, et de conclure sur les bienfaits du tricot sur l’esprit, qu’ils soient antistress ou méditatifs. A la suite de cette communication, Anne-Marie sort, de sachets et cartons, des réalisations par les membres de l’association. Pull-over, chapeaux, chaussettes, tours de cou, gants, gilets passent alors de mains en mains. Les réactions sont légions en commentaires et questions qui viennent à fuser dans le cercle, à la vue et au toucher des merveilleux ouvrages qui font briller les regards. On se lève, traverse le cercle pour partager ses sentiments sur une couleur, un type de laine…Ça cause techniques et de façon pointue. On fait cercle autour de Jeannine qui dispense des astuces de façon certaine, avec l’aplomb d’une experte. Anne-Marie renseigne également en faisant passer les ouvrages au milieu des habitants en fauteuils roulants. Aude l’animatrice place et déplace les fauteuils afin de favoriser les rapprochements, afin que les conversations tournent.
Un chaleureux brouhaha s’est installé. C’est gagné ! Les tricoteuses de Tricothé sont à la tâche de leurs ouvrages en cours, les aiguilles s’affairent à la laine. A n’en point douter nous sommes dans un couarail d’antan, enveloppés d’un ronronnement sonore doux et bienveillant.
Pour conclure cet évènement, les Lilas offrent, pour sceller ce rapprochement, un goûter qui accompagne notre rencontre. Ça tricote dans les mots et les émotions. Il y a même des retrouvailles jarnysiennes entre Tricothé et les lilas. Dans ce bourg on se connait de vue, en voisins ou en amis. Des brèches d’humanité et de plaisirs partagés se sont ouvertes cette après-midi aux Lilas.
Le temps a fait son œuvre, les planètes se sont alignées pour faire surgir et organiser, à l’initiative de Hors d’âge, deux belles rencontres autour du tricot entre les habitants des Lilas et les membres de l’association Tricothé guidés par Anne-Marie.
Au second rendez-vous, une classe de seconde du lycée Jean Zay, accompagnée de Patrick et deux de ses collègues enseignantes, a rejoint l’histoire dans le cadre d’un projet pédagogique autour de la pratique du tricot, mêlé à une approche intergénérationnelle. La parole a chaleureusement circulé, du savoir-faire s’est transmis des aînés en direction de lycéens. En conclusion de la rencontre, les enseignants exprimaient le souhait de reproduire cet espace intergénérationnel, et proposaient déjà à la rentrée de septembre, une expo photos de la rencontre pour les Lilas, le lycée et la médiathèque de Jarny.
Pour le coup, ça tricote bien entre les Lilas, Tricothé et Jean Zay !
A n’en pas douter, ce sont bien les aînés qui sont le cœur de de ces évènements. Et tout ceci né d’une rencontre sensible et intime avec Jeannine, une grande âme qui génère de part sa nature, du lien entre tous.