Pierre vient aux séances de Qi gong que je dispense aux Lilas de Jarny. Avec Alice, l’animatrice, nous le pressentons pour être le premier participant d’une rencontre « Hors d’âge ».
On commence à parler. Pierre, d’emblée, c’est le football. J’imagine un évènement : la projection d’un match de légende en invitant des passionnés du ballon rond de Jarny.
De fils en aiguilles, nous arrivons à parler de son père. Et là le regard s’allume. Nous entrons dans l’enfance de Pierre, avec un papa artisan bourrelier, tapissier, harnacheur. Nous laissons le ballon rond de côté.
Au cours de nos rencontres, Pierre replonge avec bonheur dans ses années d’enfance. Il revoit ses parents, ses 7 frères et sœurs dans la maison, à Buzy. Un lieu de vie pour la famille et de travail pour accueillir « la boutique » de son père comme ils l’appellent.
Devant ces pans de mémoire qui s’ouvrent chez Pierre, tout en émotions, je fais des recherches d’un(e) artisan(e) bourrelier pour organiser une rencontre et alimenter ainsi les souvenirs de Pierre.
Audrey, sellière, harnacheuse, travaillant le cuir, qui a cette passion chevillée au corps, me rappelle suite à un message téléphonique. Avec l’envie de rencontrer Pierre, elle est enjouée pour amener du matériel et témoigner de sa pratique et de toutes les évolutions qui ont transformé ces métiers. Lucien, le père de Pierre, travaillait au temps des chevaux de trait dans les années 20\30, chevaux qui sont devenus vapeur, pour devenir ensuite des chevaux de loisir. Audrey est sensible aux racines des pratiques et respectueuse de l’histoire des techniques. La rencontre s’annonce riche pour échanger sur ces métiers et leurs évolutions.
Octobre 2024: Pierre craignait l’absence de ses deux filles, Michelle et Sylvie. Toutes deux sont bien présentes avec Philippe, le mari de Sylvie, et tous sont captivés par le sujet, la bourrellerie, en souvenir de Lucien, le papa de Pierre. Nicolas, un habitant des Lilas, est des nôtres, ce sera un « Hors d’âge » lors d’une prochaine rencontre.
Notre invitée, Audrey, bourrelière, nous transmet généreusement son savoir au travers d’un témoignage de professionnelle et de passionnée. En ouverture, elle commente une série d’images projetées sur son métier, nous faisant également visiter en virtuel son atelier. Ensuite, elle nous présente en réel ses outils et des réalisations qui couvrent deux tables disposées dans la salle. Echanges, remarques et questions fusent. L’évolution du métier de la bourrellerie, du début du 20eme siècle à nos jours, est égrenée et commentée au cours des deux heures de la rencontre. Et nous entrevoyons Lucien dans son cadre de travail dans les années 1920.
Pierre revit son enfance par ces évocations. Un petit regret, sa gorge est enflammée, ce qui l’empêche d’intervenir librement. Mais quelques mots bien sentis, des regards expressifs et des émotions au fond de son regard attestent de sa joie de cette parenthèse aux origines de sa famille.
Sylvie et Michelle n’ont pas connu Lucien, leur grand-père, et pas ou peu d’échanges sur le sujet ont circulé. Une histoire d’écart entre le décès de Lucien et la venue au monde des deux filles. Et pourtant…Michelle, l’aînée, fabrique des sacs et formule de vouloir s’y consacrer à la retraite. Au regard de son engouement pour le sujet au travers de questions techniques posées à Audrey, et son envie incontrôlable de toucher les outils, une évidence apparait : L’atavisme est à l’œuvre. Michelle a reçu le métier de son grand père en héritage. « Mais où est la machine à coudre de Lucien ? Quelqu’un l’a gardée dans la famille ?» lance-t-elle. Elle est aux anges, échangeant sur des points de coutures auprès de Audrey qui n’est point avare de son savoir-faire. Tout ceci sous le regard de Pierre, amusé. Jolie manifestation du mystère de ces fils qui nous unissent, au-delà de nous.
De la joie partagée, une parenthèse enchantée sous un ciel lumineux d’automne, timide et généreux.